Étude : quand les chiens deviennent accros à leur jouet

par | Oct 11, 2025

Ils fixent une balle comme d'autres fixent une idée. Rien ne les en détourne. Ni la voix, ni le vent, ni même la gourmandise. On croyait le jeu innocent, joyeux, léger, mais pour certains chiens, il devient tunnel. Une obsession sourde, brillante comme un jouet neuf. Une étude vient poser des mots sur ce glissement discret : quand le plaisir de jouer devient une dépendance, et que notre chien, sans qu’on le voie venir, s’y perd un peu.
Hubert, border collie de 3 ans, a un plan en 14 étapes pour que tu relances cette balle. Spoiler : tu vas le faire. ISTOCK / GLOBAL OTTER LLC

Ce n’est plus un jeu, c’est un culte

Certains chiens ont un regard qui vous disent tout. Pas besoin de mots : leur jouet préféré est à deux mètres, posé là comme une idole muette, et leur âme entière est tendue vers lui. On pourrait croire à de l’amour, mais c’est plus que ça. Plus nerveux, plus tendu. Presque religieux. Une véritable ferveur, sinon une drogue douce parfaitement légale.

Une équipe de chercheurs a voulu mettre les pattes dans cette histoire-là. Non pas pour juger, juste pour comprendre ce qui se passe quand un chien ne vit plus que pour son jouet préféré. Leur question : est-ce qu’un chien peut devenir accro à son jouet ?

Une étude sérieuse, sur un sujet qui ne l’est pas toujours

On pourrait sourire, et pourtant. Pour l’étude, publiée en 2025 sur Nature.com, les chercheurs ont mis 105 chiens à l’épreuve. Des chiens tous décrits par leurs humains comme « ultra joueurs ». Pas joueurs, hein. Ultra. On parle de chiens qui vivent en orbite autour de leur balle. Des chiens qui n’entendent plus leur prénom quand le jouet est là, qui boudent la gamelle, oublient les copains, se collent à la boîte à jouets comme un cœur transi à la porte d’un ex.

Premier test : on leur montre leur jouet préféré, mais on ne le leur donne pas. Oui, c’est cruel. Oui, c’est scientifique. Résultat : un tiers ont pété un câble de manière assez éloquente. Regard fixe. Ignore tout. Fait des vocalises. Certains ont tenté le cambriolage express de la boîte verrouillée. Deux l’ont carrément défoncée. Voilà.

Ce que les humains disent, aussi

Deuxième outil : un questionnaire aux humains. Là, on retrouve les mêmes signaux d’alerte que dans certains troubles humains, cette manie de n’avoir de plaisir que dans un seul truc. Un seul canal de joie.

Quand on leur coupe, ces chiens passent en mode attente constante, excitation hors contrôle et frustration manifeste. Ils semblent vivre en veille, en stand-by, jusqu’à ce qu’on rouvre le tiroir magique. Puis quand on leur redonne leur « mon précieux », ils deviennent flèche, obsession, projectile émotionnel. Plus rien n’existe : ni vous, ni les autres chiens, ni les arbres, ni les câlins. Juste le jouet.

Addiction, vraiment ? Ou juste un peu trop de zèle ?

Est-ce qu’on peut parler d’addiction ? Les chercheurs préfèrent dire “traits addictifs”. Question de prudence, de sémantique. De respect, aussi. On ne colle pas une étiquette psychiatrique sur un border collie juste parce qu’il est monomaniaque de sa balle. Mais ce qu’on observe bel et bien, c’est du craving (le besoin intense), une focalisation exclusive (tout le reste devient flou), de la perte de contrôle, et une humeur qui tangue au gré de la présence ou de l’absence de l’objet-fétiche.

Si ça vous fait rire, sachez que pour certains chiens, ce n’est pas drôle du tout. Ils peuvent se blesser à force de mouvements répétés, ne savent plus gérer la frustration, et tournent en rond dans leur obsession comme un vinyle rayé. Dans une vie de chien, ça fait long, un disque qui saute.

Les chiens high drive : champions du surmenage mental

Les profils les plus touchés ? Ceux qu’on appelle pudiquement “high drive dogs”, ou chiens à forte motivation, généralement doublée d’une haute énergie. Les chiens de travail, les champions, les perfectionnistes à poils : les border collies, les malinois, les jack russells… Ceux qu’on admire pour leur intelligence, leur motivation, leur intensité. Le problème, c’est que ces mêmes qualités, mal canalisées, peuvent virer au cauchemar domestique.

Un foyer lambda, une vie un peu trop pépère, pas assez de stimulation physique et mentale, et ça peut vite devenir un enfer. Il y a des chiens qu’on admire pour leur intensité, mais si cette intensité ne trouve jamais d’issue, elle finit par les ronger de l’intérieur. Le jouet devient alors une échappatoire, un rituel. En gros, un truc qui le maintient en vie.

Devez-vous vous inquiéter ?

Non, pas si votre chien aime jouer à la balle. Oui, s’il ne veut faire que ça.

Tout va bien tant que ça reste un plaisir pluriel, qu’il est capable de jouer avec vous autrement qu’avec son jouet fétiche, qu’il sait aussi renifler, se promener, papoter avec un arbre, flirter avec le vent, jouer avec les copains s’il les aime bien. Tant qu’il n’attend pas toujours la même chose, au même endroit, au même moment, avec la même intensité tremblante. Sinon, oui, peut-être que ce n’est plus du jeu.

Comme ce border collie d’une cliente qui, dès qu’ils arrivent au parc, se poste devant elle dans cette fameuse pose du border, mi-yoga, mi-sprinter olympique, en attente de sa balle encore cachée dans le sac, et qui peut avancer ainsi pendant toute la promenade. Si son humaine ne cède pas à sa demande, peu importe, il ira voir n’importe quel humain dans le parc avec un bâton dans la gueule et lui demandera de le lui lancer.

Ce que cette étude raconte, au fond

Elle raconte quelque chose d’intime : l’envie de faire plaisir peut déraper. Le jeu, qui devait être lien, devient fuite. L’humain lance la balle, le chien court, encore, encore, et encore, et on appelle ça complicité. Pourtant parfois, c’est juste une spirale. Le jouet, alors, n’est plus un jouet, mais un symptôme.

Et nous, on applaudit, on filme. “Regarde comme il aime ça, il pourrait jouer pendant des heures.” Oui. Et c’est justement ça, le problème. 

Source :

Mazzini, A., Senn, K., Monteleone, F. et al. Addictive-like behavioural traits in pet dogs with extreme motivation for toy play. Sci Rep 15, 32613 (2025). https://doi.org/10.1038/s41598-025-18636-0

Éducatrice comportementaliste canine, je travaille sur ce lien subtil entre le chien et l’humain, avec ce qu’il a de beau, de bancal, de vivant. J’aide les humains à mieux comprendre leur chien — et parfois aussi un peu l’inverse.

Une humaine, des chiens, et un nouveau chapitre

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Comment je suis devenue éducatrice comportementalisteTour à tour graphiste, parolière, illustratrice, et autrefois aspirante vétérinaire recalée par une sévère allergie aux mathématiques, aujourd’hui, je parle chien en français et en anglais, et entre deux aboiements,...

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