Le hasard n’existe pas : quand un chien change notre vie

par | Sep 13, 2025

Il est des présences qui bouleversent le cours des choses, et celles de nos chiens en font partie. Ils arrivent parfois sans crier gare, dans un moment de flottement, de doute, ou simplement de quotidien bien huilé. Ils s’invitent dans nos vies, remuent nos certitudes, bousculent nos habitudes, et repartent en laissant un vide immense et une trace indélébile. Nous croyons les avoir choisis, mais si c’était l’inverse ? Et s'il n'y avait pas de hasard ?

Il n’y a pas de hasard, surtout avec les chiens

Vous avez certainement déjà entendu l’expression : « Il n’y a pas de hasard dans la vie ». Je pense qu’elle a été inventée pour les chiens.

L’idée peut sembler un brin mystique, mais à y regarder de plus près, il est difficile de ne pas admettre que certaines rencontres — canines comme humaines — ont une portée plus profonde qu’il n’y paraît. Un chien n’est jamais « juste un chien ». Compagnon, miroir, écho de nos émotions, il est aussi professeur, parfois sévère, parfois bouleversant de douceur. Tandis que certains nous poussent à changer, d’autres nous aident à guérir. Tous nous enseignent.

Le chien qui nous choisit

La croyance populaire veut que l’on choisisse son chien.
Que l’on soit en train de faire défiler des annonces sur internet ou qu’on ait un coup de cœur pour une petite truffe en refuge, nous pensons que le choix nous revient. Ceux qui ont vécu une vraie rencontre savent que ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a, dans certains regards, une évidence, un fil invisible qui semble dire : toi et moi, c’est maintenant.

Certains s’approchent de vous comme s’ils vous connaissaient déjà, d’autres restent en retrait en vous fixant pour attirer votre attention, certains vous suivent jusqu’à ce que vous les acceptiez, d’autres grimpent dans votre voiture sans que vous ne les y ayez invités.

Parfois, ce chien-là, ce n’était pas prévu. Pas le bon moment, pas le bon format, pas le bon tempérament, pas le bon âge peut-être. Pourtant, il est là. Il s’impose, sans rien forcer. Il tombe juste. Comme si l’univers, ou la vie, ou le chaos bien ordonné de l’existence avaient orchestré cette collision.

Dans ces moments-là, difficile de croire à une coïncidence, au hasard de vous retrouver avec ce chien-là, avec ce caractère-là, ce bagage émotionnel-là, cette intensité-là.

Quand le chien est un miroir

L’une des choses les plus déroutantes, avec un chien, c’est ce moment où l’on ne peut que constater à quel point il nous ressemble. Pas au sens physique du terme, même si certains couples humains-chiens donnent dans le mimétisme capillaire touchant. Non, au sens émotionnel.

Nos chiens, ces êtres sans filtres, captent, reflètent et absorbent tout ce que nous sommes. Ils incarnent ce que nous taisons, expriment ce que nous ressentons confusément.

Il y a ceux qui nous ressemblent trop : les hypersensibles, les nerveux, les méfiants, les sur le qui-vive. Ceux-là sont souvent les plus difficiles à accompagner parce qu’ils nous confrontent à nos propres failles. Ils nous forcent, ici et maintenant, à faire le travail. À devenir les humains qu’ils méritent. On les regarde trembler, grogner ou s’agiter, et on comprend malgré nous : ce stress-là, il est aussi à moi.

Puis, il y a ceux qui nous complètent. Ceux qui, par leur calme ou leur stabilité, nous apaisent, nous montrent un autre rythme, une autre façon d’exister en ce monde. Ils ne nous demandent rien, rien d’autre que d’être là avec eux, présents, cohérents, et c’est peut-être la plus belle des leçons.

Nos chiens sont nos meilleurs professeurs

Les chiens sont d’excellents pédagogues. Non pas qu’ils soient conscients qu’ils enseignent, mais, par leur simple présence dans notre vie, ils nous obligent à nous arrêter, à nous remettre en question, à ralentir, à observer, à écouter. À être, autrement.

Certains nous apprennent la patience, d’autres le lâcher-prise. Certains nous forcent à sortir de notre coquille, d’autres nous rappellent que nous avons encore des blessures mal refermées. Encore faut-il être prêts à les écouter.

Lola

J’ai longtemps été d’un naturel anxieux, du genre à éviter les interactions sociales, à marcher vite dans la rue, à répondre « oui ça va, merci » et à me sauver en mode furtif. Puis, un jour, Lola est arrivée.

Petite chienne douce, mais profondément craintive, adoptée à la SPA, cette croisée épagneul breton avait passé les quatre premières années de sa vie à l’attache dans un jardin sans abri, sans présence, sans amour, sans rien. Ma Lola, tellement craintive que je n’ai pas eu le choix.

C’était à l’époque de mon ancienne vie, avant de devenir éducatrice-comportementaliste. Je voulais l’aider, mais je ne savais pas trop comment. J’ai fait de grosses erreurs avec elle. J’ai aussi été mal conseillée par une éducatrice rincée. De plus, je n’étais pas bien dans ma peau à l’époque, et ça n’aidait pas. Tout ce que je savais, c’est que si je continuais à manifester, comme elle, ma peur du monde et des autres, rien ne serait possible.

J’ai donc dû me redresser et me confronter à tout ce que j’avais passé ma vie à éviter : aller vers les gens. J’ai abordé des inconnus dans la rue pendant des mois, uniquement pour aider mon chien à les apprivoiser et à vaincre ses peurs. J’ai dû leur tendre des croquettes pour qu’ils les lui donnent, leur expliquer son histoire, faire preuve d’enthousiasme social pour deux.

Au début, c’était violent. Je transpirais. Mon cœur palpitait. Comme je sortais Lola tous les jours, je devais affronter mes démons tous les jours. Puis, petit à petit, j’ai commencé à me détendre. Pire, je me suis surprise à aimer ça. À trouver de la beauté dans ces petits échanges humains, dans les regards bienveillants, dans la vulnérabilité partagée d’un petit chien timide.

Surtout, aider ma Lola à devenir une chienne bien dans ses pattes, sociable, joyeuse et aventureuse, m’a donné, à moi aussi, un peu plus confiance en moi.

Lola avant après

Lola

Baya

Lola est décédée brutalement, le tout premier jour d’une année consécutive à deux années compliquées. Son départ m’a anéantie. J’ai passé des semaines déprimée, à ne plus trouver d’intérêt à rien, à refermer la porte sur le monde.
Ceux qui n’ont jamais eu de chien trouveront que j’exagère. Ceux qui savent savent.

J’étais donc dans mon lit un matin, à faire défiler mon fil d’actualité Facebook en maudissant la vie et les tumeurs cancéreuses, quand j’ai vu le post d’une association qu’une connaissance avait partagé : un chien avait besoin d’aide en urgence, et on lui cherchait une famille d’accueil.

Cette petite voix qui a résonné dans ma tête à ce moment-là, celle qui m’a fait envoyer un email à l’adresse indiquée comme une automate, c’était celle de ma résilience, de mon instinct de survie.

Je ne comprenais pas ce que je faisais sur le moment. Je n’avais jamais été famille d’accueil, je ne savais pas ce que ça impliquait, le chien avait l’air énorme, ce n’était pas le moment, et je n’étais même pas certaine d’en avoir envie. Pourtant, deux minutes plus tard, le email entamait son voyage dans la stratosphère numérique.

S.O.S. euthanasie

Le lendemain, je recevais un appel. Ce chien-là avait trouvé une famille d’accueil et était tiré d’affaire. « Mais on en a une autre qui attend dans le couloir de la mort à la fourrière. Elle va être euthanasiée. Personne n’en veut. »
Sur la photo qu’on m’envoya ce jour-là, la seule chose qui ne me sembla pas minuscule dans ce pauvre corps famélique fut l’énorme tête de cette pitbull au regard inquiet.

« OK, je vais la prendre avec moi, » m’entendis-je répondre comme si on parlait à ma place. Le lendemain, j’allais chercher Baya à la fourrière, automate toujours, mais avec une pincée d’enthousiasme en plus.

Délit de faciès

Aaah Baya. Déjà, pour elle, j’ai dû sortir de ma déprime. Ensuite, j’ai dû ouvrir la porte et sortir tout court.
Molosse craintive mais imposante, jugée et condamnée d’un simple coup d’œil, elle avait peur de tout et grognait sourdement pour éloigner les dangers. Avez-vous déjà entendu un pitbull grogner ? Partout où nous allions, les gens s’écartaient, s’inquiétaient, sauvaient leur petit chien ou leur enfant d’une mort certaine. Souvent, même, ils commentaient, inutilement, méchamment. L’ignorance.

Moi, je devais calmer les esprits. Alors j’ai commencé à regarder les passants dans les yeux, à leur sourire, quitte à en avoir des crampes aux zygomatiques, à leur parler la première, à leur montrer que cette « terrible créature » qui souffrait d’un délit de faciès était, au fond, un cœur tendre.

Je regardais Baya et, à nouveau, je me reconnaissais en elle. Je suis grande, j’ai les cheveux noirs et, à ce qu’on m’a toujours dit, si je ne souris pas, j’ai l’air froide et hautaine. Tout ce que je ne suis pas. Encore une fois, cette chienne et moi menions toutes les deux le même combat.

Des gens ont été gentils avec elle. Des gens ont laissé leurs chiens jouer avec elle. Des gens lui ont fait des câlins. Des gens venaient nous parler par curiosité, tant elle impressionnait. Un car entier de CRS a même fait des selfies avec elle — un drôle de souvenir.

C’est ainsi qu’en très peu de temps, mon intelligente et sensible Baya s’est transformée en une chienne courageuse, heureuse, confiante. Je ne l’ai gardée que trois petits mois avant qu’elle ne trouve une famille, mais je peux vous dire que, grâce à elle, j’ai rencontré plus de gens en un hiver que je n’en avais rencontré dans toute ma vie.

Deux chiens, un chemin

Baya a terminé l’enseignement que Lola avait commencé. Elle m’a appris à ne plus me cacher, à aller vers les autres, à sourire, à m’ouvrir, à occuper l’espace avec douceur, à trouver et affirmer ma tranquillité. Enfin, elle m’a appris que je voulais changer de métier et devenir éducatrice-comportementaliste canine pour aider d’autres chiens comme elle. Sans elle, vous ne me liriez pas aujourd’hui.

Baya avant après

Baya

Et si leur rôle était de nous transformer ?

Il y a cette histoire, que j’ai entendue mille fois sous des formes différentes : une personne adopte un chien « par défaut », parce qu’il était là, parce qu’il fallait sauver une vie, parce qu’on n’allait pas le laisser comme ça. Elle pensait lui offrir un abri, à manger, un peu d’amour, pour réaliser, quelques temps plus tard, que c’est lui, en réalité, qui l’a sauvée.

Peut-être que c’est ça, le cœur de cette idée. Nos chiens ne sont pas là pour être « juste » aimés. Ils sont là pour jouer un rôle dans notre histoire. Ils nous appellent à grandir, à dépasser nos blocages, à soigner nos peurs. Parfois, ils arrivent pile au moment où tout vacille : quand vous perdez un être cher, quand vous quittez un travail, une ville, une vie… et, soudain, ce petit chien débarque. Cette petite âme inconnue, vous la regardez, elle vous regarde, et vous vous reconnaissez.

La mauvaise rencontre qui n’en était peut-être pas une

On pourrait croire que certaines rencontres sont des erreurs. Ce chien trop compliqué, ce caractère incompatible, cette adoption précipitée. Pourtant, même celles-là, peut-être surtout celles-là, tentent de nous mener vers un autre chemin.

Le tout premier appel que j’ai reçu après avoir terminé ma formation d’éducatrice fut celui d’un homme qui, si on me demande, avait une vie beaucoup trop remplie. Il avait adopté un berger malinois qui avait alors un an et demi.

Ce berger belge, une bombe d’énergie, un génie en baskets qui a besoin de structure et d’activité, lui demandait un investissement qu’il ne lui offrait pas. Il ne sortait pas assez avec lui : trop long. Il vivait dans le jardin. Il ne jouait pas assez avec lui : pas le temps. Le chien allait mal.

Ce chien-là, aussi mal tombé fût-il, portait en lui une demande très claire : viens avec moi, prends le temps, vis. Il lui fallait quelqu’un d’ancré. Son propriétaire aurait dû apprendre à poser son téléphone, à lever le nez de son ordinateur, à dire non au monde, à prendre du temps pour lui, pour souffler, pour vivre, au présent. Ce chien lui disait, par ses « bêtises », par ses angoisses : « Sois là, ici et maintenant. »

Était-ce une erreur d’avoir pris un malinois dans son cas ? Oui, sans aucune hésitation. Ce chien est particulier, a des besoins énormes, et parce que les gens ne sont généralement pas en mesure de les combler, les refuges en sont pleins. De plus, cette personne m’a clairement exprimé le fait qu’il ne pouvait (voulait ?) pas fournir les efforts que je lui demandais. Selon lui, c’était au chien de s’adapter.

C’était mon premier client, et mon premier échec. Dure leçon que celle-ci : tu auras beau vouloir, tu ne pourras pas aider tous les chiens qui croiseront ta route.
Mais si cet homme avait su saisir l’opportunité qui lui était présentée, il aurait compris que ce qui semblait être une erreur appelait en réalité en lui un changement fondamental, brutal, nécessaire.

Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous

Dire que « le hasard n’existe pas », ce n’est pas nier la part de chaos dans la vie. C’est simplement reconnaître que certaines rencontres tombent avec une justesse troublante, que certains chiens viennent révéler des parties de nous que nous ne connaissions pas, et que, souvent, leur passage, même bref, même douloureux, laisse en nous une empreinte qui fait sens.

Nos chiens ne sont pas parfaits, nous ne le sommes pas non plus, et c’est dans cette imperfection partagée que se dessine une alchimie subtile : ils ne viennent pas combler un manque, ils viennent nous montrer où le manque se trouve, et ce que nous pourrions en faire.

Alors non, ce n’est peut-être pas un algorithme divin qui vous a désigné comme humain officiel de cette petite boule de poils qui vous semble si têtue aujourd’hui, mais reconnaissez qu’au moment où vous avez posé les yeux sur elle, un fil s’est tendu, quelque chose en vous a su.

Et si ce n’était pas un hasard, mais un appel silencieux, un rendez-vous au cours duquel vous était offerte l’opportunité de devenir un peu plus vous-mêmes ? 🐾🖤

Femme et son chien épagneul breton qui lui dit qu'elle n'est pas arrivée dans sa vie par hasard

Éducatrice comportementaliste canine, je travaille sur ce lien subtil entre le chien et l’humain, avec ce qu’il a de beau, de bancal, de vivant. J’aide les humains à mieux comprendre leur chien — et parfois aussi un peu l’inverse.

Une humaine, des chiens, et un nouveau chapitre

Une humaine, des chiens, et un nouveau chapitre

Comment je suis devenue éducatrice comportementalisteTour à tour graphiste, parolière, illustratrice, et autrefois aspirante vétérinaire recalée par une sévère allergie aux mathématiques, aujourd’hui, je parle chien en français et en anglais, et entre deux aboiements,...

error: Content is protected